22 avril 2012, 13:30 (heure du Québec)
Avec tout ce chaos au Québec, je me sens vraiment loin!
C'est à ce moment que je réalise qu'il est impossible de faire abstraction de ma propre identité. J'avais déjà conscience d'être ce que je suis, soit québécoise,
mais en ce moment, rien n'est plus clair. Depuis le début de mes « caminos »,
je tente de m'imprégner des lieux où je suis en résidence pour la réalisation
de mes oeuvres. Je tente d'être la plus authentique possible au lieu de « diffusion/de
mémoire ». Je réalise ici, avec les bouleversements au Québec (grève
contre la hausse des frais de scolarité, contre le plan nord), que je ne peux
pas créer en dehors de ma propre identité. Mes valeurs, mes coutumes, ma manière
de penser viennent de chez-nous, du Québec. Ici, la vie est belle et paisible,
les gens jouent au ballon, marchent tranquillement dans les rues, se méfient
des autres à cause de la pauvreté et des vols, mais sinon, tout est détendu.
Pendant ce temps, les gens sont dans les rues pour gueuler le respect de leurs valeurs. J'avoue être fière de mon peuple et avoir honte de mon gouvernement.
J'irai cet après-midi marcher dans les rues au même moment qu'il y aura la
grande manifestation du jour de la terre.
Aussi, mercredi prochain, j'irai faire une intervention à
l’île San Lucas, non pas directement liée à la grève étudiante, mais quelques
liens pourront être faits. Cette situation me hante, j'en rêve, j'en
cauchemarde. Je suis d’accord que mon travail artistique a un penchant quelque
peu politique, mais plus que jamais, mes envies de crier mes valeurs aux
gouvernements Québécois et Canadien sont ahurissantes. J’ai l’impression que je ne
suis pas la seule, serait-ce un début de NOUS ? Marchons! Où que nous soyons,
marchons… ensemble, de préférence.
21 avril 2012, 19:55 heure du Costa Rica
Résidence de création au centre Odyseys, à San Ramón, Alajuela, Costa Rica
Entendu que je suis en résidence au Costa Rica pour la
création d’une œuvre d’art identitaire.
Entendu que mon travail est inévitablement politique
puisqu’il est présenté dans l’espace public.
Entendu que lorsque je demande aux Costaricains
« quel est le lieu de mémoire le plus important pour votre identité et pourquoi? ", ils me
donnent trois réponses, soit la forêt, le Musée National (ancienne base
militaire) et la province de Guanacaste.
Entendu que lorsque je demande aux Costaricains
d’approfondir sur le pourquoi ils me nomment ces lieux, ils restent presque
tous muets.
Entendu que la réponse la plus commune est la forêt et
que lorsque je demande de me donner le nom précis d’une forêt, ils me nomment
presque tous la isla de los hobres solos soit l’île
des hommes seuls (île San Lucas).
Entendu que cette forêt/île a une histoire, une mémoire
très particulière.
Je propose pour la réalisation de la première œuvre de la
série « Camino de la memoria » qui sera effectuée au Costa Rica, de
porter un regard particulier à ce lieu qui est l’île San Lucas, appelé
aussi la isla de los hombres solos ou la
prison de San Lucas.
Afin de bien connaître ce lieu, le 14 avril 2012, je suis
allée en tournée de prospection. J’ai tenté de connaître davantage l’histoire
de ce lieu, sa mémoire. J’y ai trouvé une ancienne prison qui avait des allures
de Guantanamo, du moins, de ce que j’imagine de Guantanamo. Des cellules
grandes comme des gymnases remplis de graffitis pornographiques ou religieux
troublants et où 50 hommes vivaient jours et nuits, empilés les uns par-dessus
les autres. J’ai vu des zones noires, des dispensaires crasseux, des cuisines
écailleuses bourrées de chauves-souris. Ce lieu donne la chair de poule. Selon
les dires du guide qui m’accompagnait, pendant plus de 100 ans, aucun droit de
l’homme n’était respecté en ce lieu, il n’y avait que du monstrueux. C’est
terminé depuis seulement une vingtaine d’années.
Le mercredi 25 avril 2012, je prendrais mon courage à 2
mains et retournerai dans cette prison pour y faire une intervention. Nous
serons 3 sur cette île, le gardien, le directeur du centre Odyseys qui
m’accueille en résidence et moi. La suite viendra mercredi!
Hier,
je suis allée à l’île San Lucas. Ce lieu est étrange, sombre, noir. Il y a bien
sûr une comparaison à faire entre cette prison aux allures de Guantanamo et les
camps de concentration de l’Argentine. Entre autres, dans les 2 endroits, les
droits humains n’étaient aucunement respectés. Toutefois, en Argentine,
l’incarcération des personnes était due à une pensée ou un geste politique et
il y avait une solidarité incroyable entre les détenus. À San Lucas, la raison
d’incarcération était bien différente, il s’agissait de prisonniers
ayant commis des crimes de haut calibre, soit des meurtres, des violes… ou des
vols dans des églises. Je ne pouvais aucunement travailler de la même manière.
Ce lieu
de mémoire important pour l’identité des Costaricains, selon leurs dires, est
marqué de graffitis qui m’apparaissent comme une terreur, un lieu d’horreur.
Pourquoi les lieux de mémoire sont aussi souvent des endroits de violence?
Comment l’identité d’un peuple peut se former par la peur? Est-ce que ces lieux
d’horreur font partie de notre identité parce que nous les vénérons? Bien sûr,
instinctivement, nous répondons à cette dernière question par un NON
catégorique. Par contre, si nous nous y penchons un peu, la question n’est pas
insensée. Que voulons-nous dans notre société, dans nos téléromans, nos films à
grands succès? S’il n’y a pas de violence, de suspense, les films n’ont pas de
succès. S’il n’y a pas de sexe ou de spectaculaire, il n’y a pas d’honneur dans
les grands galas. Ces réflexions sont similaires à celles de Guy Debord dans
« La Société du spectacle ».
Lorsque
j’ai vu la prison de San Lucas, une lourde référence à cette société m’était
présentée. J’ai donc utilisé le symbole fard de cette société hollywoodienne,
soit le tapis rouge, et l’ai installé dans ce lieu de mémoire. Cette allégorie
propose la vénération d’une société de spectacles où les droits de l’homme sont
écrasés par une fausse beauté.
Continuation du projet à la Galerie Nationale du Costa Rica, Museo de los niños
Lieu de mémoire exploré : Ancien pénitencier ouvert en même temps que la prison de San Lucas
Ce lieu de mémoire aussi important pour l’identité des Costaricains, toujours selon leurs dires, était lui aussi, jadis, marqué de graffitis, était un lieu d’horreur. Toujours en lien avec la société du spectacle, toutefois avec un soupçon d'espoir, j'ai voulu utiliser le lieu de mémoire en mettant en évidence la magnifique idée de changer un pénitencier, un lieu d'emprisonnement par un lieu de vie, un musée pour les enfants. Certes, cette oeuvre fait un retour sur la mémoire de ce lieu, de ce qu'il était, mais également ce qu'il est devenu.
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