mardi 5 juin 2012

Camino de la memoria

22 avril 2012, 13:30 (heure du Québec)


Avec tout ce chaos au Québec, je me sens vraiment loin! C'est à ce moment que je réalise qu'il est impossible de faire abstraction de ma propre identité. J'avais déjà conscience d'être ce que je suis, soit québécoise, mais en ce moment, rien n'est plus clair. Depuis le début de mes « caminos », je tente de m'imprégner des lieux où je suis en résidence pour la réalisation de mes oeuvres. Je tente d'être la plus authentique possible au lieu de « diffusion/de mémoire ». Je réalise ici, avec les bouleversements au Québec (grève contre la hausse des frais de scolarité, contre le plan nord), que je ne peux pas créer en dehors de ma propre identité. Mes valeurs, mes coutumes, ma manière de penser viennent de chez-nous, du Québec. Ici, la vie est belle et paisible, les gens jouent au ballon, marchent tranquillement dans les rues, se méfient des autres à cause de la pauvreté et des vols, mais sinon, tout est détendu. Pendant ce temps, les gens sont dans les rues pour gueuler le respect de leurs valeurs. J'avoue être fière de mon peuple et avoir honte de mon gouvernement. J'irai cet après-midi marcher dans les rues au même moment qu'il y aura la grande manifestation du jour de la terre.



Aussi, mercredi prochain, j'irai faire une intervention à l’île San Lucas, non pas directement liée à la grève étudiante, mais quelques liens pourront être faits. Cette situation me hante, j'en rêve, j'en cauchemarde. Je suis d’accord que mon travail artistique a un penchant quelque peu politique, mais plus que jamais, mes envies de crier mes valeurs aux gouvernements Québécois et Canadien sont ahurissantes. J’ai l’impression que je ne suis pas la seule, serait-ce un début de NOUS ? Marchons! Où que nous soyons, marchons… ensemble, de préférence.



21 avril 2012, 19:55 heure du Costa Rica 

Résidence de création au centre Odyseys, à San Ramón, Alajuela, Costa Rica


Entendu que je suis en résidence au Costa Rica pour la création d’une œuvre d’art identitaire.

Entendu que mon travail est inévitablement politique puisqu’il est présenté dans l’espace public.

Entendu que lorsque je demande aux Costaricains « quel est le lieu de mémoire le plus important pour votre identité et pourquoi? ", ils me donnent trois réponses, soit la forêt, le Musée National (ancienne base militaire) et la province de Guanacaste.

Entendu que lorsque je demande aux Costaricains d’approfondir sur le pourquoi ils me nomment ces lieux, ils restent presque tous muets.

Entendu que la réponse la plus commune est la forêt et que lorsque je demande de me donner le nom précis d’une forêt, ils me nomment presque tous la isla de los hobres solos soit l’île des hommes seuls (île San Lucas).

Entendu que cette forêt/île a une histoire, une mémoire très particulière.

Je propose pour la réalisation de la première œuvre de la série « Camino de la memoria » qui sera effectuée au Costa Rica, de porter un regard particulier à ce lieu qui est l’île San Lucas, appelé aussi la isla de los hombres solos ou la prison de San Lucas.

Afin de bien connaître ce lieu, le 14 avril 2012, je suis allée en tournée de prospection. J’ai tenté de connaître davantage l’histoire de ce lieu, sa mémoire. J’y ai trouvé une ancienne prison qui avait des allures de Guantanamo, du moins, de ce que j’imagine de Guantanamo. Des cellules grandes comme des gymnases remplis de graffitis pornographiques ou religieux troublants et où 50 hommes vivaient jours et nuits, empilés les uns par-dessus les autres. J’ai vu des zones noires, des dispensaires crasseux, des cuisines écailleuses bourrées de chauves-souris. Ce lieu donne la chair de poule. Selon les dires du guide qui m’accompagnait, pendant plus de 100 ans, aucun droit de l’homme n’était respecté en ce lieu, il n’y avait que du monstrueux. C’est terminé depuis seulement une vingtaine d’années.

Le mercredi 25 avril 2012, je prendrais mon courage à 2 mains et retournerai dans cette prison pour y faire une intervention. Nous serons 3 sur cette île, le gardien, le directeur du centre Odyseys qui m’accueille en résidence et moi. La suite viendra mercredi! 




25 avril 2012, Puntarenas, Costa Rica




Hier, je suis allée à l’île San Lucas. Ce lieu est étrange, sombre, noir. Il y a bien sûr une comparaison à faire entre cette prison aux allures de Guantanamo et les camps de concentration de l’Argentine. Entre autres, dans les 2 endroits, les droits humains n’étaient aucunement respectés. Toutefois, en Argentine, l’incarcération des personnes était due à une pensée ou un geste politique et il y avait une solidarité incroyable entre les détenus. À San Lucas, la raison d’incarcération était bien différente, il s’agissait de prisonniers ayant commis des crimes de haut calibre, soit des meurtres, des violes… ou des vols dans des églises. Je ne pouvais aucunement travailler de la même manière.



Ce lieu de mémoire important pour l’identité des Costaricains, selon leurs dires, est marqué de graffitis qui m’apparaissent comme une terreur, un lieu d’horreur. Pourquoi les lieux de mémoire sont aussi souvent des endroits de violence? Comment l’identité d’un peuple peut se former par la peur? Est-ce que ces lieux d’horreur font partie de notre identité parce que nous les vénérons? Bien sûr, instinctivement, nous répondons à cette dernière question par un NON catégorique. Par contre, si nous nous y penchons un peu, la question n’est pas insensée. Que voulons-nous dans notre société, dans nos téléromans, nos films à grands succès? S’il n’y a pas de violence, de suspense, les films n’ont pas de succès. S’il n’y a pas de sexe ou de spectaculaire, il n’y a pas d’honneur dans les grands galas. Ces réflexions sont similaires à celles de Guy Debord dans « La Société du spectacle ».



Lorsque j’ai vu la prison de San Lucas, une lourde référence à cette société m’était présentée. J’ai donc utilisé le symbole fard de cette société hollywoodienne, soit le tapis rouge, et l’ai installé dans ce lieu de mémoire. Cette allégorie propose la vénération d’une société de spectacles où les droits de l’homme sont écrasés par une fausse beauté. 










Continuation du projet à la Galerie Nationale du Costa Rica, Museo de los niños

Lieu de mémoire exploré : Ancien pénitencier ouvert en même temps que la prison de San Lucas



Ce lieu de mémoire aussi important pour l’identité des Costaricains, toujours selon leurs dires, était lui aussi, jadis, marqué de graffitis, était un lieu d’horreur. Toujours en lien avec la société du spectacle, toutefois avec un soupçon d'espoir, j'ai voulu utiliser le lieu de mémoire en mettant en évidence la magnifique idée de changer un pénitencier, un lieu d'emprisonnement par un lieu de vie, un musée pour les enfants. Certes, cette oeuvre fait un retour sur la mémoire de ce lieu, de ce qu'il était, mais également ce qu'il est devenu. 








1 commentaire:

Anonyme a dit…
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